Argumentaire en défaveur du projet de doublement du tunnel de Tende

Nous estimons qu’il est important de remédier aux problèmes de sécurité que pose l’état actuel du tunnel, mais que la remise aux normes par réalésage de ce tunnel telle qu’inscrite dans le deuxième volet du projet est amplement suffisante pour sécuriser la circulation tant dans le tunnel que sur la route qui traverse les villages de la vallée de la Roya. Cette solution implique, pour nous, le maintien de l’alternance pour les poids lourds et les véhicules légers, seul véritable frein à l’explosion du trafic.

D’autant que la directive européenne sur « les exigences de sécurité minimales applicables aux tunnels du réseau routier transeuropéen » précise que ce n’est qu’au-delà d’un taux moyen journalier annuel (tmja) de 10.000 véhicules/jour qu’un tunnel transfrontalier doit être doublé. Or l’actualisation de l’étude de trafic d’APS du CETE de mars 2006 indique à l’horizon 2015 avec le projet d’aménagement un tmja de 5410 véhicules/jour, soit une augmentation de 1810 véhicules/jour par rapport à la circulation actuelle. On est loin des 10.000 véhicules/jour.

Nous notons que cette augmentation de la circulation produira une quantité d’équivalent carbone importante pour le département. Or le Plan Climat Energie des Alpes Maritimes est de diminuer les gaz à effet de serre de 20% d’ici 2020, avec comme objectifs principaux de diminuer la pollution de l’air due aux transports routiers et aériens en diminuant les émissions et les flux du secteur transport et aérien.

Or, on constate que le taux de passage des véhicules légers au Col de Tende est déjà énorme, puisqu’il est plus important que celui des tunnels du Fréjus, du Mont Blanc, ou du Montgenèvre. Nous avons donc déjà une circulation des véhicules légers en France et dans la basse Roya italienne que l‘on ne peut qualifier de raisonnable : de fait, la circulation est devenue complètement disproportionnée par rapport à la taille de nos villages, et aux besoins locaux.
Les données statistiques des flux hebdomadaires de trafic que nous avons pu obtenir du Conseil général montrent des pics gigantesques de circulation entre la Ligurie et le Piémont, notamment les dimanches soirs quand tous les Italiens rentrent chez eux, alors que leurs habitudes de départ en week-end sont plus étalées sur le vendredi soir et la journée du samedi. Il s’agit essentiellement d’un trafic de « plaisance » pendulaire italo-italien, qui explose en période de week-end et de vacances scolaires, qui représente un flux infiniment plus important que celui du trafic commercial de marchandises, ou du trafic intérieur à la Roya, ou du flux touristique vers la vallée des Merveilles. Le trafic pendulaire italo-italien Ligurie Piémont Riviera de week-end et de vacances scolaires constitue le flux majeur du trafic sur la RD 6204, et il nous semble que la lutte contre le trafic routier pendulaire entre totalement dans la stratégie de promotion du transfert modal.
Dans le contexte actuel, qui est celui de l’accroissement de la mobilité tant des véhicules légers que des poids lourds, nous estimons que le transfert modal de la route vers le rail est devenu un impératif de santé publique, et qu’aucune mesure favorisant l’accroissement de la part routière ne devrait être encouragée. Le rapport « Equitable et efficiente – La redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP) en Suisse », fait en 2009 par l’Office fédéral du développement territorial « ARE », établit clairement qu’en 2007 et 2008 le nombre de trajets de poids lourds effectués à travers les Alpes est reparti à la hausse, indépendamment des mesures prises telles la RPLP, avec une perte massive du train dans la part de marché totale. Le Conseil régional PACA, dans son Contrat de projets Etat-Région 2007-2013, fait d’ailleurs référence à l’explosion du trafic marchandises en PACA qui induit des émissions inquiétantes de gaz à effet de serre.
Si la circulation des poids lourds au Col de Tende n’est actuellement en aucun cas comparable à celle d’autres passages tel celui du Mont Blanc, nous en sommes très satisfaits, et c’est justement cette particularité due à l’actuel alternat total que nous voulons préserver, afin que notre vallée ne devienne pas un simple couloir de circulation entre Vintimille Turin et au-delà les tunnels du Fréjus et du Mont Blanc, ce qu’elle est déjà pour les véhicules légers. Actuellement, les camions doivent attendre jusqu’à plusieurs heures avant de passer, ce qui explique leur faible flux actuel sur notre axe.
Il est éloquent, alors que le tunnel n’est pas encore doublé, que les habitants riverains constatent, par des vibrations intenses de leur maison que, à l’ouverture en semaine du tunnel aux camions (voir arrêté de circulation en vigueur), c’est un défilé de poids lourds internationaux, principalement dans le sens de la descente vers Vintimille. Cette voie est donc bien déjà une voie internationale, empruntée par des poids lourds qui viennent parfois de Hollande. Un doublement du tunnel attirera sans aucun doute de nombreux poids lourds et véhicules légers venant d’Europe du Nord, d’autant qu’à moyen terme d’importants travaux d’élargissement de la route dans la Roya ne manqueront pas d’être mis en œuvre.

Nous trouvons très regrettable que l’Etat, le Département ainsi que la Région, trouvent utile de subventionner le doublement du tunnel routier, ce qui va à l’encontre du report modal des passagers et des marchandises de la route vers le rail. Toutes les études indiquent que plus on optimise les infrastructures routières comme il est prévu de le faire au Col de Tende, et moins le report de la route vers le rail est favorisé.

Nous estimons que la vallée de la Roya n’a aucune vocation à être sacrifiée au trafic de VL ou de PL quels qu’en soient les enjeux. Nous sommes convaincus qu’une liaison avec l’Italie reste très importante et qu’il n’est pas essentiel de tout reporter sur le rail, mais les comportements doivent évoluer, tout ce qui est possible avec le rail doit être encouragé même si le report modal est long à se mettre en place car c’est une orientation on ne peut plus écologique au regard des émissions des gaz à effet de serre. La station de ski de Limone par exemple est accessible en train, et de nombreuses personnes qui y vont pour une seule journée peuvent s’y rendre en train. Les gares de Cuneo et de Vintimille sont toutes deux proches des marchés, et il est très facile de s’y rendre en train.

L’étude d’impact sur le projet ne nous convainc pas du tout quand elle avance que la circulation restera strictement locale, régionale ou interrégionale. L’exemple historique de l’explosion de la circulation après la mise en service du tunnel du Mont Blanc, présenté à l’époque comme une amélioration de liaison régionale, le montre avec éloquence : lors de la création du tunnel du Mont Blanc, il n’était question dans les textes que d’assurer une liaison transrégionale, qui d’ailleurs enchantait les commerçants des deux vallées. Ceux-ci ne s’attendaient pas à avoir la circulation exploser dans leur vallée (référence : Association pour la Sauvegarde et le Respect du site du Mont Blanc), et ils sont restés impuissants une fois le tunnel ouvert pour faire réguler la circulation.
Nous vous rappelons que quatre des cinq villages de la Roya française sont traversés par la route E74, alors que leurs centres-villes sont très étroits, et qu’il n’est pas prévu à court terme de contournement pour aucun de ces trois villages. Pourtant, les orientations de protection de la Loi Montagne préconisent que « les centres anciens, vieilles villes et vieux villages, doivent être préservés ». En ce qui concerne le premier ouvrage de contournement envisagé, à savoir la réalisation d’un tunnel monotube en rive gauche de Fontan, le pré-DOG (Document d’Orientations Générales) du SCOT de la Riviera française et de la Roya en cours d’élaboration précise qu’il faudra être patient quant à sa réalisation.
Nous pensons que tout aménagement induisant un accroissement de trafic est à proscrire pour la préservation de la qualité de vie et du tourisme national et international, qui représente notre plus grand apport économique, et qui est basé sur les richesses naturelles, paysagères, et archéologiques exceptionnelles de la vallée de la Roya.

Une opposition citoyenne à ce projet a déjà une certaine ampleur dans la vallée de la Roya et en Italie puisque les mêmes arguments que les nôtres ont été cosignés à la fois par des associations régionales et nationales italiennes, ainsi que par Pronatura Cuneo, Legambiente Cuneo, CIPRA Italia et Initiative Transport Europe (ITE), réseu d’associations auquel REN vient d’adhérer : consulter le site www.pronaturacuneo.it, Attivita : Documento delle Associazioni Ambientaliste Cuneesi sulle Vie di Comunicazione dell’Arco Alpino Occidentale.Une pétition signée par 700 personnes à ce jour, pour la majorité des habitants de la vallée de la Roya, témoigne également de l’opposition citoyenne croissante à ce projet dans la Roya française.

Nous appelons enfin votre attention sur les évènements ci-après, qui se sont produits depuis la Déclaration d’Utilité Publique sur le tunnel de Tende :

1. La Commission européenne a sélectionné cinq sites Natura 2000 en Roya française : la RD6204 traverse l’un d’entre eux, « le site à chauve-souris de Breil-sur-Roya », et est en limite d’aire du site « la Bendola-Ubac de Tende à la Brigue à Saorge » (au niveau de la confluence Roya-Bendola). La circulation majorée induite par le doublement du tunnel sur la RD6204 pourrait également impacter les trois autres sites Natura 2000 de la Roya « le Mont Chajol », « le Mercantour », et le « Marguareis ». Une « évaluation d’incidences » au regard des objectifs de conservation des habitats et des espèces a minima de ces deux sites Natura 2000 nous semble dès à présent nécessaire. D’autant que la Loi de Responsabilité environnementale n° 2008-757 du 1er août 2008 a parmi ses objectifs majeurs en ce qui concerne les sites Natura 2000 de respecter la qualité de l‘air et de lutter contre l‘effet de serre.

2. La France s’est dotée de la loi du Grenelle de l’Environnement, dont un des objectifs majeurs en matière de transports est la réduction des gaz à effet de serre, qui sont largement émis par les véhicules de transport. On sait depuis peu que la région PACA est de loin la région la plus touchée en France par les épisodes de pollution atmosphérique par l‘ozone. Avec les Cov (Composés organiques volatiles), les NOx (Monoxydes d’azote et dioxyde d’azote) constituent les principaux précurseurs de l’ozone. D’après Atmo-PACA, en 2004, les principales sources d’émission de Nox dans les Alpes Maritimes sont le transport routier (68%) et les activités industrielles (19%). Ainsi le transport routier est l’activité qui produit le plus d’ozone, de particules, de dioxyde d’azote, et de benzène en PACA. La station de Nice Péllos est celle ayant le plus de jours –58 jours/an– de dépassement du seuil autorisé (120pg/m3/8 heures d’ozone).

La trame verte et bleue, récemment établie dans le Grenelle 2, prévoit l’étude du maintien d’une continuité géographique de la biodiversité lors de l’élaboration de tout travaux de grande ampleur.

3. Un mois après le rendu de l’étude d’impact concernant les ouvrages à réaliser pour le deuxième tunnel du col de Tende, un papillon endémique, le « Dyscia Royaria », a été découvert en juillet 2006 au-dessus de Tende à la cote 1300 m, au niveau du tunnel routier, par les entomologistes Frédéric Billi et Claude Tautel . De nouvelles observations, réalisées en 2007 et en 2008 à proximité du tunnel, ont confirmé sa présence. D’après ces scientifiques, des précautions indispensables doivent être prises car cette espèce, dont l’unique habitat se situe près de l’entrée du tunnel actuel, sur le secteur où a été prévue la zone de remblai du tunnel projeté, est, de ce fait, en grand danger de disparition.

4. La RD 6204 traverse du nord au sud, du Col de Tende au sud de Breil, toutes les communes situées en Roya qui font partie de la « « zone d’adhésion » du Parc National du Mercantour, à savoir l’ensemble des communes de la vallée de la Roya exceptée La Brigue. La récente réforme des parcs nationaux définit les zones d‘adhésion « comme tout ou partie du territoire des communes qui, ayant vocation à faire partie du Parc national en raison notamment de leur continuité géographique ou de leur solidarité écologique avec le coeur, ont décidé d’adhérer à la charte du parc national et de concourir volontairement à cette protection. » Le concept de solidarité écologique proposée dans la loi confère un rôle de conservation bien plus important aux « aires d’adhésion » que n’en avait les anciennes « zones périphériques ». Le Parc National du Mercantour élabore actuellement sa charte. N’a-t-il pas une responsabilité indéniable vis-à-vis de la bonne conservation des milieux de son territoire ? Le PNM a d’ailleurs réalisé il y a 3 ans une brochure explicative des dégâts causés aux forêts du Parc par l‘ozone. Doit t’on continuer d’accroître ce problème par encore plus de circulation ? On peut se demander pourquoi ce sujet n’est nulle part mentionné dans le rendu « Concertation dans les vallées Mai-Juin 2009 » alors qu’il a été abondamment évoqué lors des trois réunions d’élaboration de la charte dans la vallée de la Roya.

En conséquence, nous demandons le réexamen complet du dossier, puisque celui-ci est possible en vertu de l’article 6 alinéa 3 de la Convention d’ Espoo. L’accord international concernant le doublement du tunnel de Tende a certes été signé mais il peut être réexaminé à la lumière des nouveaux éléments ci-dessus exposés.

Juin 2010,
Association Roya Expansion Nature.

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