La gestion de l’eau dans la Roya

Intervention de l’association Roya Expansion Nature au Festival des Passeurs d’humanité le 16-07-22, 8h45, Librairie du Caïros à Saorge

1 Introduction

Le contexte du changement climatique est déterminant pour tous les aspects de la gestion de l’eau, dans la Roya et probablement ailleurs dans le 06 et la région PACA:
– précédent de l’épisode exceptionnel «Alex», qui a vocation à revenir; problème de la prévention de ce type d’impact

– tension sur la ressource en eau (eau potable et eau d’irrigation), l’eau du bassin versant de la Roya alimentant aussi le littoral (champs captants de Vintimille)
– autres aspects du cycle de l’eau: qualité des rejets des stations d’épuration endommagées et vaguement restaurées, tourisme sinistré (pêche, canoë-kayak, canyoning…), risque de disparition des névés, limitation de la période d’enneigement, baisse de la productibilité des centrales hydroélectriques.

2 Les leçons à tirer d’Alex

Crues et laves torrentielles dévastatrices, qui ont parfois bouleversé le paysage lui-même (Mont Chajol sur Tende…), en plus des dégâts aux infrastructures (principalement les ponts, certains secteurs de la RD 6204 et la route de Saint-Dalmas aux Mesches et à Casterino), et aux habitations.

Les mesures de prévention sont à rechercher du côté de la «compétence GEMAPI» de la CARF (2.1.) et du droit de l’urbanisme (2.2.).

2.1. La compétence GEMAPI de la CARF

La CARF a délégué sa compétence GEMAPI (Gestion de l’eau, des milieux aquatiques et prévention des inondations) au SMIAGE, syndicat mixte «ouvert» au niveau départemental. Cette compétence est exercée de fait par un condominium SMIAGE-DDTM (préfecture).

Or la DDTM gère la police de l’eau et des milieux aquatiques, qui a vocation à conditionner les travaux du SMIAGE dans le lit des cours d’eau, a été activée dans la période d’urgence, pour disparaître après, contre toute logique, avec les conséquences que l’on devine et que l’on peut observer: chenalisation du lit mineur de la Roya, artificialisation des berges fréquente et parfois injustifiée, disparition des launes et de la ripisylve…

Les autres acteurs départementaux (Conseil départemental-service des routes, et «Force 06») sont intervenus sans coordination réelle, dans leur seule «logique d’acteur», et sans logique territorialisée. D’où des erreurs manifestes dans la reconstruction (exemples au «lac» de Breil, à Maurion sur la commune de Saorge et à Vievola & Saint-Dalmas sur la commune de Tende…).

REN a demandé dès la fin 2020 une expertise hydrologique indépendante concernant la Roya et ses principaux affluents, pour les parties anthropisées, dans le but de délimiter les lits mineur et majeur des cours d’eau, donc l’emplacement des berges. Cela étant, il y a eu aussi des travaux correctement réalisés.

2.2. Le droit de l’urbanisme

La prévention du risque naturel «crue torrentielle» passe par les documents d’urbanisme de base (PLU communaux, carte communale pour Saorge), qui doivent être «compatibles» avec le SCoT porté par la CARF. Or celui-ci n’était pas approuvé avant «Alex», pour cause d’insuffisances environnementales.

Les permis de construire et autres autorisations d’urbanisme doivent être conformes aux «règlements de zone» des PLU. Les zones menacées par des inondations et des crues torrentielles (nouveaux itinéraires créés par Alex, et lit majeur des cours d’eau) doivent être classées en zone N, inconstructible. Les «porter à connaissance» (PAC) du préfet, avec un zonage coloré consécutif à Alex, préfigurent dans une marge mesure ces zones inconstructibles.

Normalement, la compétence «urbanisme» aurait dû être transférée dans son intégralité à la CARF (instruction et délivrance des autorisations d’urbanisme), mais les maires de 2 communes sur 5 ont utilisé un droit de veto légal pour limiter ce transfert aux seules instructions.

Dans le but d’assurer une cohérence d’ensemble GEMAPI-Urbanisme, REN demande:
– la levée du «veto clientéliste» de certains maires, et le plein exercice de la compétence «urbanisme» par la CARF;
– une prise en compte globale du «risque de retour d’Alex» par le SCoT en fonction de l’expertise hydrologique globale;
– un PLU intercommunal pour la Roya, compatible avec le SCoT révisé, ou à la rigueur deux PLU intercommunaux (Breil-Fontan-Saorge et Tende-La Brigue);
– un SCoT prévoyant en tant que Projet d’intérêt général (PIG, validé préalablement par le préfet) des voies de secours strictement fermées à la circulation publique par des dispositifs matériels et parallèles à la RD 6204, en fonction des possibilités du terrain et dans le respect de l’environnement naturel et paysager;
– ce PLU intercommunal aurait aussi une fonction de Programme local de l’habitat (PLH), vu les difficultés d’accès au logement des nouveaux arrivants dans la vallée, telles que relevées par la concertation citoyenne de janvier-février 2022 sous la supervision du préfet délégué à la reconstruction Xavier Pelletier.

3 La gestion à court terme d’une ressource en eau raréfiée

3.1 «Alerte sécheresse» pour la Roya

La sécheresse tendancielle, qui ne concerne plus exclusivement la période estivale, devient une constante, dans la Roya comme dans le reste du département. Toutefois cette sécheresse découle beaucoup plus de l’irrégularité des précipitations et du moindre stockage dans le manteau neigeux et dans les nappes de montagne que dans la baisse globale des précipitations qui sont en moyenne trois fois plus élevées que la moyenne de la France métropolitaine. L’économie de la ressource en eau et son usage équilibré entre parties prenantes est plus que jamais à l’ordre du jour, au-delà des mesures conjoncturelles de restriction.

L’arrêté préfectoral n° 2022-119 du 30 juin 2022 place la Roya en «zone (n° 10) d’alerte renforcée sécheresse» (article 2), et l’usage de l’eau réglementé par son article 3. Ce statut est intermédiaire entre «alerte (simple)» et «crise».

L’article 3 précise les limitations d’usage de l’eau pour l’agriculture, les autres activités économiques et les particuliers. Interdiction d’arrosage entre 9h et 19h (forte évaporation), et réduction de 40% des prélèvements en général, ce qui suppose la présence de compteurs chez les professionnels.

3.2 Eau potable: obligation de pose de compteurs d’eau pour les particuliers

Pendant longtemps, il a été fait dans la Roya un usage abusif de la dérogation légale au principe (d’origine européenne) de paiement de l’eau en fonction de la quantité consommée: les usagers du service public de l’eau potable payaient – et paient encore – un forfait, généralement assis sur les impôts locaux (TFB), ce qui désavantage les résidents à temps partiel et incite à arroser les jardins «gratuitement» avec de l’eau potable.

Cette dérogation, aux implications absurdes et socialement injustes, a disparu lors du transfert de la compétence «eau potable» à la CARF, suite à la disparition des deux conditions de la dérogation: seuil de 1000 habitants reliés au réseau d’AEP au niveau communal + «abondance» locale de la ressource.

La pose de compteurs chez les particuliers n’est donc plus une option, mais une obligation légale, non respectée à ce jour. REN l’avait préconisée dès la décennie 90 du siècle dernier, au prix d’une impopularité organisée par des maires démagogues tenant des discours mensongers (passage inéluctable à la privatisation, etc.).

Dans le cadre de la reconstruction, cette pose devrait être gratuite ou du moins largement subventionnée. Il convient de préciser que la loi permet aussi une tarification sociale de l’eau pour les foyers les plus défavorisés.

3.3 Eau d’irrigation

L’irrigation concerne au premier chef les agriculteurs professionnels, mais aussi de nombreux habitants qui font du jardinage qui est fréquemment vivrier et non pas seulement d’agrément. La question du passage aux compteurs incite à élargir la problématique de l’arrosage non agricole à des solutions nouvelles, comportant notamment la récupération des eaux pluviales qui ruisselle inutilement sur les sols artificialisés.

Sur la commune de la Brigue, notamment, la pénurie d’eau d’irrigation affecte durement les agriculteurs. Malheureusement, l’irrigation agricole n’est pas un usage prioritaire de l’eau selon la loi, ceci étant confirmé par l’arrêté préfectoral récent: nos agriculteurs respectueux de l’environnement se retrouvent placés sur le même plan que les exploitants «conventionnels» des régions d’agriculture intensive (irrigation du maïs destiné à l’élevage, principalement). Ceux-ci exigent des «retenues de substitution», dites «bassines», qui sont remplies en pompant dans dans des nappes ou des cours d’eau déjà en tension au lieu de récupérer l’eau des crues, ou encore des barrages du type «Sivens» (mort en 2014 de Rémi Fraisse, opposant, tué par une grenade de la gendarmerie mobile, avec «non-lieu» à la clé). Une réflexion d’ensemble et participative sur le bassin versant de la Levense, comme des autres cours d’eau de la vallée, paraît nécessaire.

Les prélèvements sauvages d’eau d’irrigation par des particuliers dans les cours d’eau des 5 communes de la Roya constituent une situation de fait qui est sans doute regrettable, mais qu’on ne peut déstabiliser du jour au lendemain: en dehors même du jardinage, disposer d’un minimum d’eau dans les «campagnes» est le complément indispensable du débroussaillement obligatoire sur 50 m autour des constructions, afin de pouvoir venir à bout d’un départ de feu accidentel.

On ne peut pas davantage décréter sur le papier que «les gens doivent s’organiser collectivement», alors que leurs rapports sont fréquemment inexistants, voire mauvais, et qu’il existe déjà un lieu tout à fait pertinent pour gérer des actions collectives: la commune et le groupement de communes. Cette question nécessite davantage de réflexions, d’enquête et de débats, notamment sur l’identification de sources nouvelles d’eaux souterraines et sur leur gestion durable dans l’intérêt général.

A ce sujet, REN a initié une enquête de longue durée sur l’état des canaux d’irrigation gérés dans chaque commune par des ASA en général, ou des ASL de façon plus exceptionnelle. Il s’agit de recenser les cas de reconstruction souhaitable de ces canaux, ou de leur abandon, ne serait-ce que par absence d’eau à prélever. Cette enquête, qui ne s’immiscera pas dans les conflits internes sur la gestion de l’eau dans ces structures, suppose l’appui de la DDTM, qui serait bénéficiaire de ses résultats: aucune réponse jusqu’ici.

4 Autres aspects de la gestion de l’eau dans la Roya 4.1 Stations d’épuration: rejets dans la Roya

REN s’efforce de suivre l’évolution de la qualité des rejets des stations d’épuration malmenées par Alex dans la Roya, et fait face à la mauvaise volonté généralisée des autorités administratives à communiquer ces données pourtant en accès libre. La tendance à la diminution des débits dans le contexte de sécheresse chronique nécessite une vigilance particulière, surtout si l’on considère la présence des champs captants à Vintimille pour le littoral.

4.2 Un retour à la normale très hypothétique pour les usages touristiques de l’eau

On observe un petit retour du canoë-kayak sur Breil. Mais le canyoning reste durablement sinistré. Le retour de la pêche de loisir semble encore loin, et est conditionné par une renaturalisation de la Roya (retour des sources d’alimentation des poissons et de certains oiseaux) et son évolution vers un cours d’eau en tresses dans les zones à faible pente de son profil en long à faible pente. Cette évolution a été contrariée par les travaux du SMIAGE, qui relèvent plus de l’esprit de géométrie que de l’esprit de finesse.

5 La gestion à moyen et long terme de l’eau dans la Roya

Pour contrecarrer l’irrégularité croissante des débits disponibles il convient pour commencer:
a) tout d’abord de disposer d’une étude globale sur les précipitations, l’évolution dans le temps du manteau neigeux et les débits dans les cours d’eau et notamment ceux relevés par les centrales hydroélectriques qui jadis étaient publics mais que désormais EDF considère comme un secret commercial.
b) de disposer d’une étude technique définissant tous les lieux propices à la construction de barrages réservoirs afin de déterminer les opportunités à moyen et long terme et les incidences sur l’aménagement du territoire et sur l’économie de la vallée et de l’est du 06
c) de disposer d’une étude sur l’évolution à court et moyen terme de nos forêts et des mesures de protection (pistes accessibles aux engins, réservoirs, conduites prépositionnées) à programmer pour éviter le désastre que constituerait un incendie sans moyens de lutter contre (avec la recrudescence des risques d’incendies, les périphéries urbaines de la côte seront toujours prioritaires pour la mise en œuvre de moyens aériens!)

Sur le moyen terme, il faudra que les retenues hydroélectriques et en particulier celles du Haut Bassin de la Bieugne participent, avec les équipements actuels au soutien des étiages les plus extrêmes prioritairement à la production énergétique. Il est par exemple techniquement envisageable de prélever une petite partie du débit des centrales pour secourir les réseaux locaux d’AEP voire d’irrigation.

Sur le long terme nous devons changer complètement notre vision de l’hydroélectricité: devant la faiblesse des débits, celle-ci ne peut plus être la simple cueillette de l’énergie au fil de l’eau, surtout quand cela oblige à détourner l’eau sur plusieurs kilomètres pour générer une chute suffisante, mais l’utilisation de celle-ci en cycle fermé pour régulariser les productions d’énergies renouvelables, notamment l’électricité photovoltaïque pour laquelle PACA et le 06 sont de très mauvais élèves.

A minima, les centrales hydroélectriques existantes doivent donc être modifiées ou remplacées afin de fonctionner en mode STEP (Station de Transfert d’Energie par Pompage), ce qui suppose l’existence de réservoirs inférieurs et supérieurs.

Mais la richesse du potentiel photovoltaïque local et départemental, et la nécessité également de ne pas limiter des solutions aux problèmes d’eau des 6000 habitants de la Vallée mais aux quelques 300000 habitants qui en dépendent, de Monaco à San Remo, permettent d’imaginer un programme complet cohérent capable de dynamiser toute l’économie de la vallée sous une forme soutenable.

Il se trouve que la loi autorise désormais les intercommunalités, et donc la CARF, à créer une SEM pouvant prétendre à bénéficier des concessions hydroélectriques dont l’Europe demande la remise en concurrence. Cette SEM (de droit à majorité de capitaux publics) pourrait donc à la fois gérer la création de nouveaux barrages réservoirs sur la Roya et certains affluents (capables notamment d’amortir les crues exceptionnelles et notamment les transports solides et les troncs) et de nouvelles centrales réversibles. Il s’agit là d’un changement important sur le plan principiel et qualitatif, qui peut donner lieu à débat et controverse sur la portée de l’ouverture à la concurrence d’un secteur jusque là public dans le contexte français.

Elle pourrait aussi, à l’image de la Compagnie Nationale du Rhône, et comme elle en faisant participer divers acteurs locaux, construire une partie des «fermes photovoltaïques» adaptées au territoire et aux usages du sol (refuges pour faune sauvage, serres agricoles, réfection des toits bien orientés) mais aussi pour financer les équipements touristiques (et notamment les parcours en aval des barrages pouvant bénéficier de «lâchers d’eau» pour les sports nautiques), la protection des forêts, l’irrigation des zones agricoles, etc…

6 Conclusion:

Les citoyen-ne-s de la vallée de la Roya doivent se sentir concerné-e-s par toutes ces questions, au-delà des problèmes personnels et des visions «court-termistes». L’association REN les invite à s’en emparer pour interpeler élus locaux et responsables administratifs et techniques impliqués dans la gestion de la ressource en eau, et à ne pas hésiter à saisir l’association de tout observation ou suggestion dans ce domaine.

7 Abréviations utilisées:

AEP: Adduction d’eau potable
ASA: Association syndicale autorisée
ASL: Association syndicale libre
CARF: Communauté d’agglomération de la Riviera française
DDTM: Direction départementale des territoires et de la mer
GEMAPI: Gestion de l’eau, des milieux aquatiques, et prévention des inondations
PAC: Porter à connaissance
PIG: Projet d’intérêt général
PLH: Programme local de l’habitat
PLU: Plan local d’urbanisme
SCoT: Schéma de cohérence territoriale
SEM: Société d’économie mixte
SMIAGE: Syndicat mixte pour l’aménagement et le gestion des eaux
SPANC: Service public de l’assainissement non collectif
STEP: Station de transfert d’énergie par pompage (ne pas confondre avec « Step » = Station d’épuration) TFB: Taxe sur le foncier bâti

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