Demande d’audit à la cour des comptes

REN vient de demander à la Cour des comptes un audit sur le chantier de doublement du tunnel routier du col de Tende. 

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Extraits

…. Les signataires de ce courrier souhaitent porter à votre attention l’utilisation des fonds publics dans un projet qui, d’après nous, ne devrait pas voir le jour pour les raisons exposées dans l’argumentaire qui suit.

…. La conduite du chantier, confiée à l’A.N.A.S., n’est pas correctement maitrisée par le maître d’ouvrage. Quant au coût des travaux, il est tenu dans l’opacité la plus totale.

Nous avons décidé de nous adresser à vous à la suite d’un article paru en décembre 2015 dans Provincia Oggi (Annexe 1), qui donnait la parole à Franco Biraghi, Président de Cofindustria, organisation représentant les entreprises de la Province de Cuneo, et à Luca Chiapella, coordinateur du Comité de pilotage du chantier de doublement du tunnel de Tende.

Tous deux s’accordent pour dénoncer l’allongement démesuré de ce chantier depuis son ouverture il y a 6 mois, et émettent des doutes quant à la détermination du maître d’ouvrage à conduire cette opération à son terme. Au rythme d’avancement actuel, ce chantier qui a pris des années de retard pourrait durer jusqu’en 2027!

Une autre interrogation concerne les 65 500 m3 de déblais composés d’anhydrite extraits lors du percement du côté français. A l’origine ils devaient être évacués par train sur les cimenteries de Peille en France, c’est sur ce scénario que reposait l’étude d’impact pour la DUP de 2007. Puis, en 2010, la destination a changé pour un site à Asti en Italie, avec transport par train. Mais tout récemment, pour une raison que nous ignorons, ce projet a été abandonné pour un transport par camions.

Les impacts environnementaux n’ont jamais été évalués. Les coûts liés au transport, dont il nous a été dit qu’ils n’apparaissaient pas dans le coût de l’ouvrage stricto sensu, vont donc forcément évoluer.

Nous craignons que le coût initial de 196 M avancé par la DREAL PACA en 2008 (Annexe 2), identifié à 209 M€ par L’ANAS en 2010, n’aient en fait véritablement explosé et ce, en dépit du non-respect de l’échéancier du travail.

C’est pourquoi nous vous saisissons aujourd’hui d’une demande de réalisation d’un audit sur les coûts déjà imputés à l’Etat français, au Conseil régional PACA et au Conseil départemental des Alpes-Maritimes, par rapport à l’état d’avancement desdits travaux et à l’opportunité de les réaliser comme prévu.

 

Contestation de l’opportunité

L’augmentation du gabarit et la suppression de la circulation alternée vont permettre à la voie de capter une part beaucoup plus importante du flux routier de transit international en direction de ou au départ de Vintimille. C’est par ce nœud au Sud des Alpes, le deuxième en quantité de fret routier après le Brenner, que passent les marchandises circulant sur l’arc du littoral méditerranéen.

La circulation de transit par le col, qui relie Vintimille et la plaine du Pô sans péage, est déjà avérée par les immatriculations des poids lourds empruntant la vallée, mais elle est limitée par la hauteur du tunnel et les temps d’attente induits par la circulation alternée.

Le trafic est à ce jour de 3600 véhicules/jour, donc 160 poids lourds. L’estimation de l’étude d’impact de 2007 est de 4700 véhicules/jour, dont 220 poids lourds à l’ouverture des deux tubes.

Si des documents récents émanant de la préfecture des Alpes-Maritimes reconnaissent enfin que l’augmentation du trafic constitue un problème, les chiffres sont visiblement sous-estimés.

En 1998, le rapport Brossier conseillait de sécuriser le tunnel routier existant par une galerie d’évacuation des piétons et de se contenter d’un simple réalésage, sans augmentation de capacité. Mais en 2001, la CIG préconise une solution de double galerie sans qu’une évaluation de l’option à un seul tube n’ait été effectuée.

Aucune évaluation d’incidence n’a été conduite pour vérifier l’opportunité d’un tel projet au regard des impacts sur l’ensemble de la vallée, sur la qualité de l’air, la biodiversité, le bruit, la sécurité dans la traversée des villages.

La qualité de l’air sur tout le secteur mesurée par Air Paca est moyenne à médiocre une bonne partie de l’année. Les masses d’air en provenance du littoral et du Piémont transportent une pollution chronique à l’ozone qui dépasse depuis 12 ans les valeurs cibles autorisées par la commission européenne (Annexe 3). Ce projet constitue un facteur d’aggravation du phénomène.

Concernant la sécurité dans le tunnel, le dernier rapport de la commission de sécurité de la CIG, en 2011, établit que le tunnel existant est sécurisé compte tenu des mesures qui ont été prises (alternance totale, caméras de surveillance reliées à un central, postes de pompiers aux entrées,…).

D’autre part la norme européenne du double tube ne s’applique pas: le trafic dans le tunnel est actuellement inférieur 10 000 véhicules/jour/voie, et un tel volume ne peut pas être envisagé, même dans un futur lointain, car il ne serait pas supporté par les étroites vallées alpines qui conduisent au tunnel.

Contestation du choix d’infrastructure

Sur le même parcours Breil-sur-Roya, Tende, Cuneo, le passage entre la France et l’Italie est équipé d’une voie ferrée qui fut électrifiée jusqu’en 1943. Après les destructions occasionnées par la guerre, la reconstruction s’est opérée sur la base d’une convention entre les gouvernements français et italien, celui-ci acceptant de prendre à sa charge les réparations sur le tronçon entre Breil-sur-Roya et Tende sans toutefois l’électrifier 1.

Jusqu’à l’automne 2013, 16 trains italiens circulaient par jour, reliant Cuneo à Vintimille. En correspondance avec les trains français en gare de Breil-sur -Roya, ils permettaient l’aller-retour journalier entre Nice et Turin.

Mais un désaccord entre les deux Etats sur le financement de la maintenance de l’infrastructure en territoire français a conduit à sa dégradation progressive et à une limitation de la vitesse sur le parcours Breil-sur-Roya/Tende à 40 km/h. Les autorités régionales italiennes et Trenitalia décident alors la réduction du nombre de trains à 4 par jours. La région PACA et SNCF réduisent le nombre de trains entre Breil-sur-Roya et Tende. La ligne ne remplit plus sa fonction.

La somme nécessaire pour permettre les premières réparations d’urgence et éviter la fermeture de la ligne a finalement été débloquée en début 2015 par le gouvernement italien (29 millions d’euros). Le contrat de plan Etat Région prévoit d’apporter une somme équivalente : 9 millions de l’Etat, et 9 millions de la région PACA sont acordés. Mais à ce jour le Conseil Départemental des Alpes-Maritimes n’a toujours rien versé, en dépit de ses promesses faites lors de la dernière réunion de la CAFI à Nice.

Mais le coût des travaux pour lever la limitation de vitesse à 40 km/h n’est pas couvert par ces financements. A ce stade, la mise en place d’une liaison franco-italienne efficace et l’électrification semblent hors de portée financière, alors que celles-ci figurent dans les objectifs de la DTA des Alpes-Maritimes.

Il faudrait au moins 120 millions d’euros pour que cette ligne soit en mesure de relier en deux heures Nice et Vintimille à Turin et qu’il soit envisageable d’y faire circuler du fret.

En conclusion

Les 120 millions d’euros nécessaires pour la ligne ferroviaire paraissent sans commune mesure avec les 209 millions d’euros, ou plus, que les deux Etats s’apprêtent à investir sur le routier.

Les fonds public sont donc prioritairement dépensés sur un projet routier qui menace la biodiversité et la qualité de l’air. Sur ce dernier point il est à noter que les niveaux inquiétants de pollution de l’air dans les Alpes-Maritimes et en Région PACA en font des collectivités qui seront redevables de lourdes amendes à la Cour de justice de l’Union Européenne pour dépassement des seuils.

Le projet se fait au détriment d’un besoin de transport collectif existant qui, lui, est conforme aux recommandations de la Convention Alpine, à la politique de report modal de la route vers le rail prônée par le gouvernement, et aux préconisations des récents schémas nationaux et régionaux des infrastructures de transport.

 

 

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