Concertation Citoyenne sur la Reconstruction de la Roya : beaucoup de bruit pour pas grand-chose

La concertation citoyenne de janvier et février 2022, telle que proposée par le Préfet délégué à la reconstruction des vallées comprenait un panel de 50 citoyens par vallée, sélectionnés par tirage au sort avec des ajustements pour tenir compte des profils démographiques. Deux membres du Conseil d’administration de REN ont fait partie de ce panel, et livrent ici leur bilan personnel.

Mme Céline Pelletier, épouse du Préfet, a participé au suivi de ces trois journées: deux à Saint-Dalmas-de-Tende et une inter-vallées à Nice, ( nos deux administrateurs étant absents de cette dernière journée pour des raisons indépendantes de leur volonté). Mme Pelletier fait partie de la Direction interministérielle de la Transformation publique (DITP), placée auprès de la Ministre de la Transformation et de la Fonction publique (bien noter l’ordre des termes…). Selon son site internet, « la DITP regroupe plus de 80 consultants et experts ». Sa division « Accélération de la Transformation » s’occupe de la participation citoyenne, et l’on peut donc présumer que Mme Pelletier en fait partie.

L’organisation de cette concertation a été sous-traitée à une entreprise de conseil en communication, Etat d’Esprit Stratis, qui n’appartient pas aux plus connues, mais fait certainement partie des 80 consultants annoncés sur le site de la DITP.

Commençons par les points positifs : excellent accueil par le Prieuré de Saint-Dalmas, repas de midi offerts, et indemnisation des participants à raison de 50 € par journée pour frais de déplacement et de garde d’enfants éventuelle. Ambiance générale plutôt bon enfant et absence de phases agressives ou de comportements déplacés de la part des participants, nouveaux contacts et échanges riches en coulisse, pendant les pauses ou les repas…

Point éminemment négatif : l’organisation du débat et des échanges n’a pas permis l’expression de tous les points de vue personnels, alors que c’eût été possible avec une méthodologie différente. Par conséquent, le consensus plus ou moins réel l’a emporté sur la divergence des points de vue qui pourrait fâcher…

  • Organisation des échanges par tablée de 6 ou 7 participants, puis recueil de l’opinion de la tablée par l’animatrice ; il eût été préférable de réunir les gens selon un ensemble de tables rectangulaire afin que chacun puisse voir tous les autres et les entendre ; de fait, l’identité des participants est devenue occulte, sauf vis-à-vis des participants que l’on pouvait personnellement connaître auparavant.
  • Questions posées aux tablées sous forme de jeux infantiles (simuler un article de Nice-Matin en 2030, ou encore qu’on est le préfet, le maire, etc.) et débouchant sur un discours pré-formaté et stérile, dont le contenu échappe largement aux préoccupations des citoyen-ne-s sélectionné-e-s..
  • Synthèses périodiques (demi-journées) par l’animatrice débouchant sur des propos « lisses » et très généraux. A la fin, on apprend que les citoyens souhaitent que la ligne ferroviaire soit maintenue et modernisée, que la connexion par le tunnel de Tende soit rétablie dès que possible, que les logements disponibles soient modernisés pour mieux fixer une population nouvelle qui remplace plus ou moins la population partie suite à Alex pour cause de conditions de survie trop difficiles, etc. Pas vraiment, un « scoop »…

Par ailleurs, une plate-forme avait été mise en place avant ces journées pour recueillir les suggestions et positions de l’ensemble des habitants, ce qui s’est avéré finalement plus intéressant que les débats du panel citoyen. Mais REN est déçue de la prolifération de projets personnels ou de petits groupes, rarement intéressants, au détriment de la prise en compte de l’intérêt général et des projets collectifs d’avenir, qui n’ont cependant pas été complètement absents. Nous sommes en désaccord avec le financement public de projets privés (exception faite des aides PAC pour les exploitants agricoles), et surtout avec le fait que l’argent de l’Etat soit ensuite géré par les maires de la Roya, qui n’ont jamais brillé par leur sens de l’intérêt public bien compris et respectueux de l’environnement. Affaire à suivre, donc.

Plus récemment, deux éléments sont venus apporter de l’eau à notre petit moulin :

  • Le rapport sénatorial sur les cabinets de conseil ( lien vers le rapport ) type McKinsey, qui font le travail à la place d’une haute fonction publique apparemment moins spécialisée, mais dorénavant « fonctionnalisée » uniformément par la réforme créant de l’Institut National du Service Public en remplacement de l’ENA .
    On lira plus spécialement les pages 119-123 sur la « nouvelle spécialité » de ces cabinets, la participation citoyenne, qu’ils sous-traitent généralement à des PME-TPE fonctionnant en réseau. Nous ignorons ce qu’il en a été dans notre cas, mais on relève ceci sur le site de l’entreprise concernée : « Etat d’Esprit Stratis s’inscrit dans plusieurs réseaux de professionnels de la communication et de la concertation. Lieux d’échanges de bonnes pratiques et de formation, ces réseaux nous permettent d’enrichir nos méthodes mais aussi de les partager avec l’ensemble des membres. »
  • Un ouvrage dont la lecture est fortement conseillée : Matthieu Aron & Caroline Michel-Aguirre : Les infiltrés – Comment les cabinets de conseil ont pris le contrôle de l’Etat – Ed. Allary
    On trouve dans cet ouvrage des références aux mêmes techniques de communication « infantile » que celles auxquelles nous avons eu affaire, et qui sont peut-être des « bonnes pratiques » dans ces réseaux. Certes, l’entreprise qui a animé les journées de la concertation citoyenne de la Roya n’a apparemment pas grand chose à voir avec McKinsey, EY, Roland Berger & Co, mais en apparence seulement, car la logique est la même. Tant cet ouvrage récent que le rapport sénatorial soulignent le rôle « déconstructeur » de la DITP en tant qu’acteur de la « privatisation de l’Etat » (Voir ouvrage collectif, du même titre, paru en 2013 aux Editions du CNRS, sous la direction de Philippe Rouvillois et Michel Degoffe). Cela n’empêche pas la DITP d’évaluer parfois sans complaisance des prestations insuffisantes de ces consultants, selon le rapport sénatorial.

Pour conclure, on ne saurait reprocher à M. le Préfet Pelletier d’avoir organisé cette concertation, et REN est favorable au principe. Mais c’est la démarche générale de l’Etat qui est en cause : les représentants de l’Etat peuvent très bien organiser directement les modalités de cette concertation, et ne sous-traiter que l’intendance matérielle.
On peut aussi souhaiter, comme REN l’a proposé sur la plate-forme de l’appel à projet, que les prochaines concertations soient réellement participatives et décisionnelles.
Tout espoir n’est pas perdu, puisque la synthèse des consultations, accessible en ligne, indique : A noter par ailleurs quelques rares mais précieuses contributions qui invitent à prolonger l’exercice participatif dans le temps pour construire une véritable gouvernance “partagée” du territoire et garder cet esprit du “faire ensemble”, le terme ensemble inclut les citoyens, habitants, acteurs associatifs et économiques aux côtés des élus et de la puissance publique.”

=> Pour les résultats de la concertation citoyenne en Roya et dans les autres vallées :

https://www.alpes-maritimes.gouv.fr/Services-de-l-Etat/Prefecture-et-sous-prefectures/Mission-interministerielle-a-la-reconstruction-des-vallees/Reconstruction-des-vallees-sinistrees/Avenir-des-vallees-Resultats-de-la-concertation-citoyenne